Covid-19, baux commerciaux et force majeure

Depuis la fermeture contrainte des commerces et plus généralement avec la crise sanitaire du COVID-19, l’expression  « force majeure » est sur toutes les lèvres.

Toutefois, qu’en est-il d’un point de vue juridique et est-elle adaptée à la crise que traverse les bailleurs et les locataires/preneurs en cette période ?

La fermeture obligatoire d’un commerce par arrêté peut-elle être considérée comme un cas de force majeure ?
Aux termes de l’article 1218 du Code Civil : Légifance

Pour justifier d’un cas de force majeure, il est donc nécessaire de démontrer la réunion de plusieurs critères et notamment :

- l’imprévisibilité de la situation à laquelle on est confrontée,

- son irrésistibilité.

S’agissant du caractère imprévisible de la situation, ce critère s’apprécie lors de la conclusion du contrat et non lors de la réalisation de la situation dont on revendique la qualification de force majeure.

Le caractère imprévisible de la situation est apprécié au jour de la conclusion du contrat, c’est-à-dire au moment où on le signe. Ce principe est rappelé de façon constante par les tribunaux (Civ. 1re, 30 oct. 2008, n°07-17.134  , Cass., ch. mixte, 4 févr. 1983, n°80-12.977  et n° 80-14.853, Cass., ass. plén., 14 avr. 2006 n°02-11.168).

S’agissant plus particulièrement du contrat de bail, il convient d’identifier si la crise sanitaire que nous traversons était prévisible ou non lors de la conclusion du contrat. Ainsi, il convient d’être particulièrement prudent en cas de conclusion d’un contrat après la survenance de la crise quand le contrat a un effet rétroactif. Dans ce dernier cas, sauf à prévoir, dans le contrat, le traitement de la période de crise (franchise ou diminution de loyer), il sera difficile de se prévaloir de la condition d’imprévisibilité requise en matière de force majeure.

Le caractère irrésistible de la situation est apprécié par les juges au moment où survient l’évènement qualifié de force majeure. Cet évènement doit être tel qu’il empêche totalement la partie qui a pris un engagement de respecter le contrat et d’exécuter son obligation.  Classiquement, les juges comparent votre situation à celle d’un individu ordinaire, normalement diligent, placé dans les mêmes circonstances. Placée dans votre situation, une personne lambda aurait-elle pu respecter le contrat ?

Aussi, même si les autorités gouvernementales et les journalistes utilisent beaucoup les termes de « force majeure » s’agissant de la crise sanitaire actuelle, il faut être vigilant sur l’analyse qui en est faite par les tribunaux.  Les tribunaux apprécient chaque cas de manière individuelle de façon concrète.  Ainsi, les juges ont déjà estimé que le critère de l’irrésistibilité n’était pas acquis lorsqu’il s’agissait simplement pour le cocontractant de verser une somme d’argent. Rien n’est donc certain quant à la qualification de l’impossibilité de payer les loyers comme un cas de force majeure pendant la crise du COVID-19.

A titre d’exemple, on peut citer l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 16 septembre 2014 n°13-20306 (publié au Bulletin), dans laquelle les juges ont estimé que  « le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d'argent inexécutée ne peut s'exonérer de ce cette obligation en invoquant un cas de force majeure » .  Cette solution a été ensuite confirmée par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation, compétente en matière de bail commercial, le 20 mai 2014 (n°13-16534).

D’ailleurs, s’agissant plus particulièrement des épidémies, dans un arrêt du 29 mai 2016 n°15/12113, la Cour d’appel de Paris a refusé de reconnaître la confrontation d’un commerce au virus Ebola comme un cas de force majeure.
Il est certain que le terme « force majeure » est très largement utilisé en cette période de crise. Il est certain aussi que nous nous trouvons dans une situation inédite. Il n’est par contre pas acquis que les Tribunaux retiennent cette même qualification de force majeure, sauf à ce qu’un texte intervienne d’ici là.

Si la dimension nationale, et l’amplitude inédite du phénomène pousseront peut-être les juges à estimer que les commerçants font effectivement face aujourd’hui à un véritable cas de force majeure, au plus fort dans la mesure où la fermeture des commerces est imposée par le législateur, il convient de rester prudent sur l’anticipation de l’analyse qui sera faite de cette situation par les tribunaux.

En effet, en cas de conflit avec votre cocontractant, les tribunaux examineront, critère par critère, si la situation concrète à laquelle vous avez fait face est effectivement un cas de force majeure.

Il ne faut donc pas oublier que l’appréciation de la force majeure dépend de l’appréciation souveraine des juges. Nous faisons face à une situation inédite, les juridictions pourront donc faire preuve de souplesse et/ou d’évolutions par rapport aux solutions qu’elles ont pu arrêter précédemment.

Au regard de ce qui précède, nous ne pouvons que conseiller aux bailleurs et locataires de bien relire leur contrat et d’envoyer un courrier (à minima un email) à leur cocontractant pour les avertir de toute difficulté dans l’exécution du contrat.

En effet, il faut rappeler qu’il est possible que les contrats que vous avez conclus présentent un aménagement contractuel de la force majeure. Cela signifie qu’une partie peut avoir accepté, dans le contrat, de prendre à sa charge les conséquences qui résulteraient d’un cas de force majeure dans une des clauses. Dans ce cas, si vous avez accepté une telle clause dans votre contrat, vous ne pourrez pas utiliser l’argument de la force majeure pour tenter d’échapper à vos engagements contractuels.

Je vous invite donc à bien vérifier les clauses de vos contrat, les juges ayant reconnu valable ce type de clause dès lors qu’elle ne prive pas une des parties cocontractante d’une obligation essentielle, c’est-à-dire dès lors qu’elle ne vide pas l’engagement de l’autre partie de toute sa substance. (Chambre commerciale, du 8 juillet 1981, 79-15.626, Publié au bulletin)

Par ailleurs, il est également possible que votre contrat prévoit sa propre définition de la force majeure qui est peut beaucoup plus souple que celle du Code Civil. Ainsi, si votre contrat comporte une clause de force majeure qui vise comme hypothèse les épidémies ou pandémies, vous pourrez beaucoup plus facilement, en cas de problème avec votre cocontractant, vous défendre de l’inexécution de vos engagements puisque ce cas est directement prévu par le contrat.

Dès lors qu’on justifie réunir les critères de la force majeure, elle exonère totalement le débiteur de l’obligation (par exemple un locataire de régler ses loyers ou un bailleur de laisser la libre jouissance des locaux loués) (Req. 19 août 1878, DP 1879. 1. 215).

En droit, on estime que c’est une cause d’extinction de l’obligation. En effet, lorsqu’on ne respecte pas un contrat, classiquement, l’autre partie peut solliciter son exécution forcée et/ou des dommages intérêts.Toutefois, l’article 1231-1 du Code Civil précise bien que « le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure ».

Ainsi, dans le cadre du bail commercial, si les conditions de la force majeure sont réunies, il ne sera pas possible par exemple, pour un bailleur de signifier à son locataire preneur un commandement de payer visant la clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers par exemple, pendant la période concernée par le cas de force majeure. La jurisprudence a déjà eu l’occasion de juger à ce titre que l'application de la clause résolutoire est exclue en présence d'un cas de force majeure (Cass. 3e civ., 24 juin 1971, n°70-12.017, publié au Bulletin).

La force majeure n'exonère en outre le débiteur de ses obligations que pendant le temps où elle l'empêche de donner ou de faire ce à quoi il s'est obligé. Cela signifie, s’agissant particulièrement du COVID-19, s’il était jugé que cette période est bien un cas de force majeure, dès lors que l’ouverture du commerce fermé du fait des dispositions réglementaires sera à nouveau possible, l’exécution de l’ensemble des obligations du contrat de bail devront reprendre.

Afin de trouver une solution viable, sûre et pérenne pour l’ensemble des parties au contrat de bail, les échanges avec votre cocontractant et les accords amiables sont à privilégier dans cette période trouble, la communication permettant souvent de trouver les meilleures solutions tant pour les locataires que les bailleurs, au-delà de la parfois trop grande rigidité du droit.

Afin d’être conseillé au mieux sur la manière de procéder, vous pouvez nous consulter et nous sommes à votre entière disposition.

En tant que locataires, vous pouvez vous rapprocher de vos bailleurs en sollicitant une suspension de vos loyers, un échelonnement voire des franchises si cela est envisageable. A ce titre, il faut noter que l’article 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020 interdit l'application de pénalités, intérêts, l’exécution de clause résolutoire, l'activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges dont l'échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire pour les TPE et les sociétés en procédure collective.

Pour les critères voir : Légifrance.

En tant que bailleur, vous pouvez vous rapprocher de vos banques pour solliciter une suspension de vos échéances de crédit. Plusieurs établissements bancaires ont déjà fait des annonces en ce sens. Si besoin, il convient de rappeler que vous pouvez saisir un médiateur pour toute difficulté rencontrée avec un établissement bancaire (https://mediateur-credit.banque-france.fr/)

Enfin, de manière générale, en cas de difficulté, vous pouvez également saisir la BPI, filiale de la caisse des dépôts pour demander l’octroi de la garantie BPIFRANCE pour les prêts accordés par les banques privées ou pour obtenir des réaménagements de prêts et des rééchelonnements. De plus, la BPI a mis en place un plan d’urgence qui permet, dans certaines conditions, d’obtenir un prêt dit REBOND de 10 000 euros à 300 000 euros ou un prêt ATOUT, permettant d’obtenir jusqu’à 5 millions d’euros pour les PME. (https://www.bpifrance.fr/A-la-une/Actualites/Coronavirus-Bpifrance-active-des-mesures-exceptionnelles-de-soutien-aux-entreprises-49113).

L’Etat et les différentes régions françaises ont également fait des annonces et mettent en place des plans pour soutenir les entreprises en difficulté.

Pour toute question, n’hésitez pas à nous contacter, l’équipe QUINTUOR est à vos côtés pour approfondir ces questions, vous apporter des réponses précises au regard de votre situation personnelle et vous accompagner.

Nous sommes joignables par email à contact@quintuor.com et/ou au 03.20.21.98.99 et nous traitons votre demande dans les plus courts délais.

 

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